Plaidoyer pour un humanisme de la sobriété

La sobriété est-elle un humanisme ? 

Les promesses des « Lumières » – éclairer les hommes par la raison et le savoir pour qu’ils puissent exercer pleinement leur liberté, penser par eux-mêmes, maitriser leur destin et faire valoir leur dignité et celle de tous les hommes- sont toujours d’actualité car c’est un combat difficile et permanent, ici et ailleurs. Mais ce qui est surtout mis en lumières depuis au moins un demi-siècle, c’est que s’il y a une seule et même humanité unie dans une communauté de destin, il y a aussi une seule et même planète qui forme un seul et même système vivant fragile dont la résilience a largement atteint ses limites. Aujourd’hui, si de nombreux régimes totalitaires et oppressifs sont toujours à l’œuvre, ce qui risque de priver plus de la moitié de l’humanité de sa dignité, de sa liberté et de la maitrise de son destin c’est que les ressources minimales pour vivre et avoir une vie d’homme ne seront bientôt plus garanties, pas le temps d’une crise, mais pour très longtemps. En conséquence l’autre moitié risquera aussi de perdre sa dignité et sa liberté en cherchant à se protéger de la première en érigeant des murs de toutes sortes.

L’ivresse du consumérisme. 

« Sobre » est emprunté au latin sobrius qui voulait dire « qui n’est pas ivre » c’est-à-dire qui n’a pas perdu la raison, et par suite «qui est dans son bon sens ». Car quel est le sens du gaspillage de ressources que nous réalisons depuis trop longtemps ? Quel sens, c’est-à-dire que signifie-t-il, quelle direction donne-t-il ? Que ressentons nous ? L’ivresse d’acheter et de consommer sans autres limites que nos ressources financières et que nous confondons avec notre liberté et notre puissance ? Alain Souchon le résumait magnifiquement dans Foule sentimentale il y a 30 ans, « On nous inflige des désirs qui nous affligent ».

Être humaniste aujourd’hui c’est aussi arrêter de priver l’autre de ses ressources vitales. 

Nous savons depuis longtemps que ce que nous faisons ici a des conséquences ailleurs. Le réchauffement climatique et l’effondrement de la biodiversité, deux phénomènes qui se renforcent l’un l’autre, sont la conséquence directe et non réversible de nos systèmes économiques et industriels depuis 150 ans. Au mieux, avec détermination, nous pouvons les ralentir et les limiter pour trouver le temps des adaptations et mettre massivement en œuvre les mécanismes de solidarité vers ceux qui en souffrent déjà.

Réinventer ce que croissance veut dire, dire quelle société voulons-nous. 

Notre croissance est exclusivement vue sous l’angle économique de la croissance des échanges marchands et de l’addition des valeurs ajoutées, et l’on voit bien dans quelles impasses cela nous amène. Bien sûr les philosophes humanistes des Lumières et ceux de la Grèce antique ne parlaient pas de croissance. Ce qu’ils visaient ce n’étaient pas l’augmentation des biens et des richesses, c’était l’augmentation des connaissances, du savoir, de la raison, de la conscience, de la liberté de penser et d’agir, de la solidarité et de l’égalité de traitement entre les hommes – ce que nous appelons aujourd’hui le bien-être (« la vie bonne »)- et du bonheur ( « le bonheur de tous » est la conclusion du préambule de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789). La critique n’est pas nouvelle et les nombreuses tentatives pour remplacer le PIB par un indicateur de la croissance des qualités humaines et du bien-être ne sont toujours pas concluantes tant nous avons placé l’économie comme une fin en soi et non comme un moyen. C’est pourtant ce débat qu’il faut réouvrir : Quelle société voulons nous? Sur quoi décidons nous d’évaluer ses progrès, quelles priorités voulons-nous poursuivre, quels moyens nous donnons-nous ? L’indispensable sobriété qui laisserait à chaque homme, à chaque société, à chaque culture suffisamment de ressources pour vivre dignement et se développer est un immense défi démocratique, et seul un véritable consensus éclairé recentré sur l’humanisme peut la mettre en place.

Patrick Margron

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