« Repenser l’humanisme aujourd’hui »

C’est le titre de la conférence que Charles Pépin a donné lors de la soirée de MUMA du 4 octobre. Alexandre Coulet en a fait une synthèse pour celles et ceux qui n’ont pu être là ou qui ont envie d’approfondir ce qui a été dit.

Charles Pépin nous a proposé de repenser l’humanisme au travers d’un voyage dans le temps.

L’humanisme dans l’Antiquité

Les Grecs se représentaient le monde comme un monde clos. Le but de tout homme était de trouver sa juste place dans le monde et d’acquérir la sagesse, le juste milieu entre la lâcheté et la témérité.

Les héros antiques n’ont pas d’humilité et sont victimes de leur hubris. C’est la tentation de démesure ou de folie imprudente des humains, tentés de rivaliser avec les dieux. Ils finissent par reconnaitre leurs limites et cela vaut en général, dans la mythologie grecque, de terribles punitions de la part des dieux. Les Grecs opposaient à l’hubris, la tempérance, la mesure et la modération, qui sont d’abord connaissance de soi et de ses limites.

L’humanisme antique n’est pas du tout tourné vers l’humain. L’existence de l’esclavage dans la société antique hiérarchisée en est la preuve, même si les esclaves devaient être bien traités et pouvaient être affranchis par leurs maîtres.

L’humanisme antique est plutôt tourné vers la recherche du bonheur qui passe par la connaissance.

L’humanisme chrétien

Dans l’humanisme chrétien, l’homme a été créé à l’image de Dieu et c’est Jésus-Christ qui est au centre de la création. Toutefois, l’homme est placé au-dessus des autres espèces (supériorité intrinsèque de l’humain) même s’il doit prendre soin des autres et notamment des plus faibles (charité). On retrouve ce rapport à la nature et cette dichotomie entre le Bien et le Mal et l’Esprit et le Corps (ou plus exactement la subordination du corps à l’esprit).

L’humanisme dans la Modernité 

Avec la Modernité, le monde clos des Grecs va éclater sous l’impact de la mondialisation des échanges. L’univers apparaît comme un monde infini, un monde sans frontières et sans limites. Une expansion infinie dans un cadre fini. 

Les penseurs humanistes accordent une place centrale à l’homme et inventent des valeurs comme le respect de la personne humaine. On respecte l’homme comme une finalité même s’il est aussi un moyen d’instrumentaliser l’autre. Il y a une volonté de mettre l’humain au cœur et au centre de tout, ce qui remet en cause la pensée et le rôle dominant de l’Église.

L’humanisme contemporain : Repenser la place de l’homme

Dans l’humanisme contemporain, l’homme n’est plus au centre. On habite ce monde ensemble, on cohabite, ce qui conduit à repenser la place de l’homme en tenant compte de son environnement (nature, animaux, climat, robots,…). 

Notre relation au non humain et la façon dont on le traite devient centrale. Comment se passe cette rencontre ? Comment vit-on ce rapport à plus faible que soi ? Que faire de l’agressivité naturelle ? La reconnaître et la sublimer ! Il faut sortir de la dichotomie : ne plus distinguer le Bien du Mal ! Il faut sortir du déni de la pureté : on est mélangé, on est des mixtes ! Il n’y a qu’un pas du virus de l’absolu à l’absolu du Mal.

Trois choses peuvent être faites :

  • Reconnaître la complexité de l’humanité ;
  • Penser que l’homme n’est plus au centre ;
  • Passer de la morale à l’éthique (proposer des valeurs et non plus les imposer, passer de l’absolu à la relativité).

Trois axes de travail sont possibles :

  • Se faire confiance, s’écouter ;
  • Faire au mieux ;
  • S’adapter au mieux.

Quatre erreurs sur l’humanisme d’antan sont à éviter : 

  • Certitude ;
  • Raison ;
  • Séparation du Bien et du Mal ;
  • Anticipation.

Trois des plus grands esprits des XIX et XX siècles se sont trompés : Hegel avec le libéralisme démocratique, Marx avec le communisme et Auguste Conte avec le progrès des sciences.

Place à l’incertitude 

Il faut éviter de voir avec sa raison le monde de demain. Nous les humains, nous habitons l’incertitude ! L’essentiel est incertain et malgré cela il ne faut pas lâcher sur les valeurs.

Il ne s’agit plus de savoir et de prévoir. Il s’agit de faire au mieux, ce qui passe par le tâtonnement, l’adaptation et l’extrême sensibilité aux circonstances. Il ne faut pas tomber dans le cynisme et l’ironie. Mieux vaut viser la justesse que la justice ! Un retour à Socrate semble souhaitable.

Repenser la place des animaux 

Dans le « Le silence des bêtes : la philosophie à l’épreuve de l’animalité », Élisabeth de Fontenay, met en évidence le fait que la façon dont l’homme aborde l’énigme de l’animalité révèle par là même le regard qu’il porte sur l’humanité. Non seulement l’homme n’est pas supérieur aux animaux, mais les animaux peuvent sembler supérieurs aux hommes par différents aspects :

  • Les chats voient mieux que les humains ;
  • Les chiens sentent mieux que les humains ;
  • Les oiseaux volaient avant que les hommes n’inventent l’avion et certains oiseaux sont mêmes altruistes comme les corvidés ;
  • Les vaches ruminent en contemplant avant que les hommes ne deviennent des sages contemplatifs.

Il faut abandonner la pensée différentialiste comme le propre de l’homme est la pensée, le langage, le rire… Il y a des différences de degrés, mais pas de nature entre l’homme et l’animal.

Place à l’humilité, l’honnêteté et la créativité 

Il peut être nécessaire de passer de « tous les grands hommes sont des monstres » à « les plus grands hommes sont les plus humbles ». Il s’agit de mettre en valeur l’humilité, l’honnêteté et la créativité ! Qui dit grand pouvoir dit grande responsabilité. N’oublions pas ce que disait Étienne de La Boétie : « Les tyrans ne sont grands que parce que nous sommes à genoux ». Nous pouvons être grands quand nous nous mettons à genoux devant un enfant !

Vers un humanisme éthique et homéopathique 

Il n’y a plus de promesse du grand soir ! Soyons déjà un « homme bien » pour notre entourage : Vive l’humanisme homéopathique ! Félicitons et célébrons les petits pas ! Abandonnons la promesse de pureté et adoptons l’éthique des petits pas. 

Il y a un risque que l’éthique ne devienne une morale : ne répétons pas une recette qui marche ! Il faut reconnaitre que c’est un régime épuisant et lassant, car il faut s’adapter sans cesse et ne pas désespérer. Qui décide des règles de l’éthique ? Par exemple pour les embryons congelés, ce pourrait être le comité d’éthique. Mais pour que cela fonctionne, il faut un système tournant pour que ce ne soit pas toujours les mêmes qui décident.

On fait face à un dilemme : l’homme n’est pas supérieur aux autres et pourtant l’homme veut prendre soin des autres. Une possibilité pour en sortir : l’homme le fait pour lui et pas pour les autres ! Dans son ouvrage « Humanisme de l’autre homme » Emmanuel Levinas propose de réinventer l’humanisme et de retrouver le sens de l’humain et pour y parvenir de redéfinir des notions simples comme l’autre, l’amour, la liberté, la responsabilité… Les droits de l’homme peuvent se combiner avec un humanisme de type éthique fondé sur l’idée de droits de l’autre homme.

N’oublions pas que les humains peuvent disparaître et la vie sur terre subsister !

Il nous reste à éviter que le monde ne se défasse comme le disait Albert Camus dans son discours de réception de son prix Nobel de littérature le 10 décembre 1957 : « Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse ».

Par sa devise « Bon vivant, bon vieux, bon mort ! », Charles Pépin offre un bon remède.

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