Et si l’humanisme relevait plus de la psychologie que de la philosophie ?

On peine à définir une philosophie de l’humanisme, non pas que la philosophie n’ait rien à dire de l’humanisme. Plus facilement, nous identifions des philosophes que nous qualifions d’humanistes, Paul Ricoeur, Emmanuel Levinas ou Simone Weil, et d’autres à qui il est difficile d’attribuer ce qualificatif malgré l’importance et l’actualité de leurs œuvres pour l’humanité, Nietzche ou Heidegger.

Qu’essaie de nous dire l’humanisme ? Que notre fraternité devrait guider nos décisions et nos actes, que cette fraternité repose sur l’égale dignité de chacun et s’exprime d’abord par la défense inconditionnelle de cette dignité, à commencer par la nôtre. Que la liberté est la condition de plein exercice de cette dignité et que cette liberté doit nous permettre d’exercer notre raison, notre libre arbitre et notre esprit critique pour ne rien céder aux superstitions et aux manipulations et pour baser nos relations et nos actions sur des faits et des analyses partagés ou partageables.

Nous savons tout cela et en principe nous l’approuvons. Donc la question n’est pas « Qu’est qu’il faut faire ? » pour que la société soit humaniste °, mais « Pourquoi ne le faisons-nous-pas ? »

A quoi cela fait référence ? Premièrement à notre capacité à accorder notre confiance à l’autre, aux autres, c’est-à-dire en fait à nous-même. Et donc à tous les messages qui nous disent de nous méfier de l’autre car il peut représenter un danger, comme de nous méfier de nous-même car notre jugement ne serait pas sûr, que nous serions faibles et faillibles et qu’il serait préférable d’obéir à l’autorité d’un plus expérimenté, d’un plus sage, d’un plus puissant.  Notre confiance en nous est d’abord le résultat de la confiance que nous avons reçue, c’est donc vite un cercle vicieux, à ne pas donner notre confiance l’autre ne développe pas la sienne, et donc ne la donne pas etc. Même processus pour l’estime de soi, donc l’estime de l’autre, l’autre dimension indispensable pour des relations apaisées et constructives.

Deuxièmement à la confusion sur ce que serait notre identité en fondant essentiellement cette identité sur nos différences, comme on le fait des objets que l’on distingue par leurs formes, leurs couleurs, leurs usages, leurs prix. Nous avons effectué une sorte de marchandisation de notre humanité en nous définissant par nos différences, en monnayant, en marketant ces différences et en les érigeant entre nous en des critères définitifs de compatibilité ou d’incompatibilité, de désirabilité ou de rejet.

Troisièmement à nos difficultés croissantes d’accepter l’incertitude. L’autre est une incertitude, la rencontre est une incertitude. Et cette incertitude tient d’abord à la liberté de l’autre, au fait qu’a priori je ne peux pas vraiment contrôler ses intentions, ses actes. Aussi l’incertitude de l’expression de ma propre liberté, car je ne contrôle pas non plus vers quoi elle peut m’emmener. 

Si l’humanisme est un combat, c’est d’abord un combat contre nos propres peurs, contre les limites que nous nous sommes imposées ou que nous avons acceptées, contre nos biais psychologiques et sociaux, contre les croyances qui en découlent, avant d’être aussi un combat contre toutes les formes de pouvoirs autoritaires qui veulent réduire l’homme à un animal obéissant. C’est donc un combat pour ne pas confondre, chez soi-même et chez l’autre, individuation et individualisme, confiance et naïveté, estime de soi et orgueil, affirmation de soi et égoïsme, responsabilité et culpabilité, autorité et pouvoir, liberté et laisser-aller, altérité et identité

° Je replace ici la définition proposée dans la lettre MUMA de décembre 2022 : « Une société humaniste serait une société qui, par une discipline librement consentie et en toutes connaissance de causes, place toujours en tête de ses choix les enjeux de la dignité et du développement des personnes humaines, quelles qu’elles soient, et quelques que soient les difficultés. »

                                                                       Patrick MARGRON

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