La « critique savante » de l’humanisme
Il y a une critique de l’humanisme qui cherche au plus profond ce que signifie vraiment la dignité de l’homme, sur quoi repose sa liberté, qui cherche à ouvrir d’autres possibilités de relations à Soi et aux Autres. Paradoxalement elle émane souvent de penseurs que l’on peut au contraire qualifier d’humanistes vu leur profonde attention aux autres et leur respect inconditionnel des diversités comme Claude Lévi-Strauss ou Michel Foucault. Ce dernier dans «Les mots et les choses » écrit en 1966 : « l’«homme » n’est qu’une façon possible dans l’histoire des cultures d’être constitué comme sujet. Il est d’autres manières de penser, d’expérimenter son corps, de se rapporter à soi, aux autres et aux pouvoirs que celles promues par l’humanisme » et de conclure : « l’ « homme » est une invention dont l’archéologie de notre pensée montre aisément la date récente, et peut-être la fin prochaine ». Mais aucun d’entre eux, n’a proposé de renoncer ou de faire table rase de ce que l’on appelle « les droits de l’homme » ou « les droits humains », au contraire. Ils essaient d’élaborer une pensée neuve de l’homme « délivrée de l’humanisme », comprendre délivrée d’un humanisme immobilisé, bloqué, dans sa définition du XVIIIème siècle et qui ignore les nouveaux savoirs et les nouvelles contingences qu’il faut mettre en lumières pour inventer de nouvelles possibilités.
Et cette critique savante est souvent instrumentalisée pour dire « L’humanisme, c’est dépassé. »
La critique eurocentrique, et la critique individualiste
Parce que l’humanisme est né en Europe au XVème siècle en se concentrant sur la dignité humaine, la liberté et la raison il a ignoré les perspectives et les contributions des cultures non-occidentales. Il présente les idéaux européens comme universels et nie ainsi les diversités culturelles et les valeurs propres à d’autres peuples. Limité par son approche eurocentrique l’humanisme ne tient pas compte des différences historiques, sociales et culturelles qui ont influencé la formation des sociétés à travers le monde. Sans parler de sa mise en échec par deux guerres mondiales en Europe et bien des violation flagrantes des droits de l’homme.
L’humanisme ne serait donc possiblement un idéal que pour les cultures dites « occidentales »
L’humanisme a tendance à se concentrer sur l’individu et minimise l’importance des relations sociales, des communautés. Il sous-estime les influences externes comme l’économie, la politique, les modes d’organisation, les sciences et les technologies, la culture, les environnements naturels, toutes choses qui ont un impact évident sur la psyché, les modes de pensée, les choix et les actions des individus.
L’humanisme ne pourrait donc pas être un modèle de société, au mieux, une démarche individuelle.
Mais qui critique l’humanisme, au profit de quoi ?
On peut disserter longtemps -et utilement- des différences de contenu – et donc d’histoire et de conséquences- des mots liberté, dignité ou raison en Français, en Anglais, en Allemand, en Arabe, en Hindi, ou en Chinois. Mais, les points communs de tous les régimes, pays ou organisations qui critiquent l’humanisme c’est de ne donner que peu de place à la liberté individuelle et collective, de pratiquer des justices expéditives, d’exercer des pouvoirs très autoritaires voire délibérément violents, de limiter la liberté d’expression, d’imposer l’obéissance plus ou moins aveugle à des idéologies simplistes, de falsifier aisément les faits et de réécrire l’histoire, d’emprisonner facilement les opposants, de pratiquer largement des discriminations ethniques religieuses, ou sociales et, de façon générale, de montrer un respect très relatif de la vie humaine.
La vérité : L’humanisme dérange !
Il nous dérange individuellement : C’est un effort, une discipline que de préserver sa dignité et de faire valoir celle de l’autre, d’exercer sa liberté et de défendre celle de l’autre, d’utiliser sa raison et d’encourager l’autre à en faire de même. Il dérange les pouvoirs : Il empêche d’exercer un pouvoir arbitraire, il oblige au dialogue et au partage, il reconnait l’autonomie des personnes et leur égale légitimité, il encourage la diversité de leurs actions et il ouvre les possibles.
Patrick Margron