« Plus vite, plus haut, plus fort ». La devise olympique qui encourage le sprinter, le perchiste et l’haltérophile semble devenue notre règle de vie depuis longtemps. Y déroger est soit une faute qui pourrait se payer cher, soit le privilège de quelques sages qui pourraient s’extraire de la vie courante. Bien sûr, être rapide est souvent utile, nécessaire et même plaisant. Mais d’où vient cette survalorisation qui associe de façon univoque vitesse et performance, qui fait qu’il faudrait décider vite, comprendre vite, lire vite, et même se choisir vite lors d’un rendez de recrutement ou simplement amical ? Si la vitesse est obligatoirement une performance, alors la lenteur serait inévitablement une faiblesse ?
« On manque de temps » donc il faut faire vite ? Mais de quel temps manque-t-on ? Puisque la vie c’est du temps (la preuve quand on est mort il n’y a plus de temps, ça s’appelle l’éternité), donc de quelle vie manque-t-on ? De quelles vies manque-t-on ? Puisqu’il s’agit souvent d’en vivre plusieurs, de courir plusieurs priorités à la fois, de dire oui à des objectifs a priori incompatibles ou contradictoires. Comme si choisir et renoncer c’était mourir et qu’il fallait accepter presque tout ce qui se présente, tout ce qu’on nous impose, tout ce que nous nous imposons ? Donc accélérer plus aller de plus en plus vite.
« Le degré de la vitesse est directement proportionnel à l’intensité de l’oubli » Kundera. C’est le moteur du cercle vicieux de la vitesse, car cet oubli, cette faiblesse de la mémoire de ce qui a été fait trop vite, vécu trop vite, vu trop vite c’est qui impose de recommencer autre chose, d’additionner une autre expérience, puis encore une autre qui seront pourtant tout aussi vite oubliées pour essayer vainement de combler le sentiment d’un vide existentiel. Nous avons tous fait cette expérience d’un grand nombre de choses faites dans la précipitation, dans l’urgence et à la fin de la journée ne plus s’en rappeler et avoir le sentiment d’une journée utile et bien remplie.
L’injonction à la vitesse est une stratégie d’évitement de la conscience. Prendre conscience est un processus lent, itératif et fragile, comprendre vraiment est un processus lent, identifier fidèlement ses émotions et celles des autres, écouter, formuler un avis pertinent, penser correctement sont des processus lents. Aller vite, vouloir sans cesse prouver sa rapidité, c’est à la fois fuir plus ou moins inconsciemment ce que notre conscience des choses pourrait nous dire et nous priver de la partie la plus profonde de notre intelligence. Cela au profit de savoirs faire et de savoirs être mécaniques, réflexifs, acquis par conformité sociale, qui nous éloignent sans cesse de nous-même, mais dont la satisfaction immédiate de performance superficielle nourrit notre besoin de reconnaissance, à défaut de nourrir notre besoin d’authenticité. Aller vite c’est prendre le risque de ne pas pouvoir exercer son esprit critique et de le confondre avec l’esprit de réparti, c’est renoncer à son autonomie de pensée pour adopter les prêts-à -penser élaborés par d’autres.
Eloge de la lenteur ? Pas forcément, pas systématiquement, mais avoir la conscience de ce qui peut ou doit être fait rapidement et de ce qui doit être fait avec lenteur sous peine de passer à côté de ce qui était important, vital, vivant. Pour conclure, ce constat de Christophe André : « Je me sens fort dans la vitesse et heureux dans la lenteur, c’est pourquoi je préfère la lenteur ».
Patrick Margron