La connaissance est-elle utile ?

Pourquoi n’utilisons-nous pas ce que nous savons ? « La connaissance inutile » est le titre du dernier ouvrage de Jean-François Revel en 1988. Il y relevait que jamais nous n’avons été aussi informés, jamais il n’a été aussi facile de s’instruire, d’avoir accès aux connaissances, mais qu’aucun progrès significatif ne semble marquer nos choix, nos décisions, nos jugements. Notre civilisation construite pour se développer grâce à la connaissance est-elle viable si elle refuse d’utiliser ce qu’elle sait ? Depuis, malgré l’explosion de l’internet qui rend quasi infini et gratuit notre accès aux savoirs, nous ne pouvons que faire le même constat : nous n’utilisons pas vraiment ce que nous savons ou pourrions facilement savoir. Faudra-t-il que ce soit l’intelligence dite artificielle qui nous l’impose quand nous aurons délégué aux machines l’essentiel de nos choix ? Qu’est-ce qui nous retient d’utiliser notre savoir ?  Qu’est devenu le projet des Lumières : « Plus les hommes seront éclairés, plus ils seront libres » Voltaire.

La connaissance vient de l’intérieur.   Mais, « Nulle connaissance en nous ne précède l’expérience, et toutes commencent avec elle » précise Kant. Une des explications est peut-être là : le savoir sans expérience. C’est l’expérience qui ancre le savoir en nous et le transforme en connaissance active utilisable pour nos réflexions, nos décisions, nos actions. Le savoir instantané offert par l’internet, le plus souvent ne procède d’aucun investissement personnel, à peine d’une volonté et d’une attention superficielle. Ce savoir sous nos yeux ne crée pas d’ancrage, il peut s’évaporer aussitôt, nous saurons le retrouver si besoin, cela reste extérieur, ne fait pas partie de nous. « Le degré de lenteur est directement proportionnel à l’intensité de la mémoire, le degré de vitesse est directement proportionnel à l’intensité de l’oubli. » Milan Kundera, La lenteur 

Il n’y pas de lien univoque entre ce que nous savons et ce que nous croyons.  Nous agissons plus souvent en fonction de ce que nous croyons, ce que nous sentons que ce que nous savons.  Nous aimons plutôt ce que nous comprenons d’emblée et rejetons instinctivement ce qui nécessite une interprétation. Utiliser son savoir, analyser le pourquoi de ses croyances, comprendre ses émotions, confronter les trois, demandent un effort, une liberté, que la société actuelle n’encourage pas, et le besoin de croire est souvent plus fort que l’envie de savoir. Et par savoir, connaissances, il faut entendre la compréhension et l’interprétation de l’ensemble des informations accessibles à notre conscience et à notre analyse, pas seulement les faits et chiffres dit rationnels, mais aussi les informations portées par nos émotions, nos sentiments, notre corps, notre intuition, notre environnement. 

« On se fatigue de voir la bêtise triompher sans combat », Albert Camus. Battons-nous donc contre une société qui prétend nous rendre service en nous dispensant de penser, de mémoriser, qui ramène notre esprit critique à un simple savoir-faire de recherche documentaire comparée sur internet ou à l’élaboration de questions à Chat GPT et consorts. Le plus grand ennemi de la connaissance, ce n’est pas l’ignorance, c’est l’illusion de la connaissance, et c’est précisément cette illusion qu’entretient chaque jour le savoir sans expérience diffusé par l’internet. « L’homme est tenu de savoir. L’homme est responsable de son ignorance, l’ignorance est une faute. » Milan Kundera.

« L’esprit libre et curieux de l’homme, c’est ce qui a le plus de prix au monde », John Steinbeck, A l’est d’Eden. La curiosité est une force intérieure qui nous pousse à nous intéresser à quelque chose que nous ne connaissons pas mais dont nous percevons l’existence. C’est une force « irrationnelle » car elle n’est pas mue par l’intérêt, le calcul.  Et, ce que l’on apprend par curiosité, étonnamment, on le retient, on l’utilise. Donc en cette période de rentrée scolaire et universitaire louons la force de la curiosité : « C’est un miracle que la curiosité survive à un enseignement purement formel. », Albert Einstein.

                                                                                               Patrick MARGRON

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