« Tu es là… mais en fait, tu n’es pas là ! » Combien de fois avons-nous entendu ou pensé cela, pour nous même ou pour un autre ? Rien de plus difficile que d’être vraiment présent, pas seulement là. Mais pour être présent il faut être disponible, se rendre disponible, c’est-à-dire être disposé à. Être présent, avant d’être un état, est d’abord un effort, le résultat d’une volonté, un acte conscient et réfléchi. Car pour être disponible il faut écarter, refuser, se libérer de ce qui vient en permanence assaillir notre conscience, fragmenter et éparpiller notre attention, nous détourner de l’autre, de soi-même. Être présent c’est donc d’abord une attention, maintenir une attention, au double sens de faire attention et de donner de l’attention. Et si prendre soin commence par une attention, alors être présent est un soin, à l’autre, à soi. « L’attention est la forme la plus rare et la plus pure de la générosité » Simone Weil. Inversement, ne pas être vraiment présent quand l’autre l’attend, quand on l’attend de l’autre, est une souffrance, une violence, d’autant plus perverse qu’elle est souvent non dite, non consciente. Et ce qui ne s’exprime pas s’imprime.
Le présent est le temps de l’action. Quand on agit on utilise le temps présent, pas l’imparfait ou le futur. Mais agir est risqué, le risque de se tromper, de se faire mal, de faire mal. Aussi une très large partie des produits et services développés par notre société actuelle nous détourne de l’action au prétexte de nous protéger, de nous faire courir moins de risques, de nous épargner l’inconfort d’affronter l’incertitude et de devoir décider et agir sans garantie de succès. Nous ne décidons pas, nous choisissons -et il nous faut obligatoirement choisir- dans des menus et parmi des options définis, contrôlés et organisés par d’autres. Nous croyons agir mais nous suivons le process, le chemin déterminés par les cases que nous avons cochées. Nous achetons ainsi notre tranquillité, notre sécurité, nous maximisons la prévisibilité et la satisfaction potentielle de ce qui adviendra. Mais à ne plus éprouver suffisamment souvent l’action autonome nous n’éprouvons plus suffisamment le présent, nous parlons – nous pensons- à l’imparfait, au futur et surtout au conditionnel. Dans une action personnelle qui nous occupe pleinement nous ne voyons pas le temps passer. Car alors le temps n’existe plus. Il n’y a plus que du présent. Le temps c’est la distance entre le passé et le futur. Dans le présent le temps n’existe pas, il y a éventuellement la durée d’un présent qui se répète s’il est intensément vécu.
« La vraie générosité envers l’avenir consiste à tout donner au présent » Albert Camus (L’Homme révolté). La présence -donc le présent- c’est ce qui ne peut pas se répéter, se rejouer, ce qui est unique. C’est le risque de l’absence qui fait la valeur de la présence. Être présent c’est offrir – et recevoir – une connexion qui permet un échange véritable, qui ouvre des possibilités d’action qui feront appel à notre liberté et à celle de l’autre, qui peuvent prendre un autre chemin que ceux prédéterminés par un système surtout soucieux d’efficacité court terme et de moindre risque et qui donc promeut une présence virtuelle, digitale, non impliquante, rejouable, une présence dont on peut s’absenter sans risque. Faire l’effort de la présence réelle c’est prendre le risque de la rencontre, la rencontre de l’autre, la rencontre avec soi-même. C’est accepter qu’il puisse se créer, se passer quelque chose d’imprévu, qui nous échappe, qui nous surprenne, qui nous modifie et qui nous fasse prendre une autre route. La vie c’est justement ce qui advient et que nous n’avions pas prévu.
Patrick MARGRON