L’intelligence artificielle sera-t-elle le médecin de demain ?

Dans un souci d’économie, le CHU de Nantes vient de remplacer le personnel d’accueil du secteur de consultation par deux superbes machines. Une fois la carte vitale insérée, un ticket indique le médecin auprès duquel aura lieu la consultation et la salle d’attente vers laquelle se diriger. L’étape suivante est-elle le remplacement du médecin par une machine capable d’analyser les données de la personne qui consulte, et de lui remettre un ticket avec diagnostic, ordonnance et consignes à suivre ?

Qu’en est-il du développement de l’intelligence artificielle (IA) dans le domaine de la santé ?

La lecture des mammographies pour détecter un cancer du sein ou de fonds d’œil pour détecter une atteinte de la rétine liée au diabète par l’IA donne à présent des résultats plus fiables que les experts radiologues ou ophtalmologistes. Une IA a été classée première de l’examen de sélection des futurs médecins dans une université chinoise… Lorsqu’il faut de façon systématique analyser de façon répétitive une image, une machine arrive à d’excellentes performances. Des milliers d’images normales et d’images anormales lui ont été présentées, et progressivement, par retour approprié sur ses réussites et erreurs, elle est devenue capable d’apprendre à les différencier. Il en est de même pour des connaissances testées par des questions à choix multiples. Dans ces deux situations, il y a un grand nombre de réponses possibles, mais un nombre fini de réponses. L’immense avantage que la machine a sur l’humain est quelle peut gérer en parallèle un grand nombre de données, qu’elle calcule vite et qu’elle ne connaît pas la fatigue. Elle est donc capable dans ces situations de donner de façon parfaite ou presque la bonne réponse.

Un humain est appelé à la rescousse 

Dans le cas de l’analyse d’images, il persiste encore parfois de l’incertitude ; et dans ces situations un humain est appelé à la rescousse ! Un médecin face à une personne qui vient le consulter pour un problème de santé va bien sûr récupérer des informations, des signes d’examen qu’il va rapidement intégrer pour les rapprocher de situations similaires qu’il a rencontrées au cours de sa carrière, et ainsi poser un diagnostic puis établir un plan d’investigation complémentaire et de traitement si nécessaire. Son fonctionnement a une certaine proximité avec celui d’une machine d’IA. Dans le colloque singulier, d’humain à humain, le médecin intègre toutefois un bien plus grand nombre d’informations que des mots et des signes d’examen. Les regards, les gestes, de l’un et de l’autre vont interagir en permanence. Le médecin va en tirer un grand nombre d’informations, sans forcément en avoir conscience, et va adapter en temps réel son langage et son attitude aux réactions de la personne qui consulte. Ces interactions au-delà du diagnostic vont être d’ailleurs déjà partie prenante de l’acte thérapeutique. Ces rapides constatations soulignent une des différences majeures entre le fonctionnement d’une machine d’IA et celui d’un humain dans les interactions avec un humain : la première saisie un maximum d’informations, les confronte aux milliers de configurations apprises et donne une solution, celle qui fait coïncider les informations collectées avec une des configurations apprises. 

L’humain en permanence enrichit et adapte les informations qu’il recueille lors de ses échanges avec autrui, ce que la machine ne fait pas.

Les machines d’IA sont et vont être de plus en plus des outils utiles d’assistance aux diagnostics et aux choix thérapeutiques, mais elles ne resteront que des outils comme l’humain en a toujours utilisés. L’humain aura toujours une place incontournable lorsqu’il s’agira d’interagir avec d’autres humains surtout lorsque ces derniers sont en souffrance.

Une des conséquences directes de ces réflexions concernent les méthodes nécessaires à la formation des médecins. Leur demander, comme c’est encore le cas, de mémoriser des connaissances brutes, n’a plus beaucoup de sens en 2023. Ces connaissances sont aujourd’hui facilement accessibles dans les machines qui nous assistent. Par contre, être sensibilisé aux sources d’erreur diagnostique en raison de biais cognitifs, le biais d’excès de confiance est ainsi une des principales causes d’erreur médicale, et surtout, par compagnonnage, apprendre le respect et l’écoute d’autrui en inquiétude et en souffrance, sont des compétences clés à acquérir. L’élargissement du recrutement des futurs médecins au-delà des seuls profils à dominance scientifique, l’intégration, encore timide des sciences humaines et sociales dans la formation médicale, le développement du travail en groupe et une évaluation des compétences en complément des connaissances pures vont dans le bon sens.

Il est déterminant d’amplifier ce mouvement pour que demain les machines n’aillent pas au-delà de l’accueil de la consultation…

Philippe DAMIER · Professeur de Neurologie 

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