La force des rituels, le danger des routines. Un rituel c’est un rendez-vous. Un rendez-vous avec soi-même, avec les autres ou avec son environnement. C’est quelque chose de voulu, attendu, organisé, précis, conscient, qui manque s’il n’est pas accompli correctement, c’est un repère. Une routine c’est plus qu’une habitude, une « habitude d’habitude », un fonctionnement quasi-inconscient, quasi-involontaire, un temps qui passe presque inaperçu où le réel qui nous entoure est flou, à peine perçu, où notre champ de vision, d’audition, d’attention sont minimaux. C’est un fonctionnement à l’économie où nous mobilisons le moins de forces possible.
Un rituel nous ressource, une routine nous isole. Le rituel a un sens, conscient ou non. Il sert à donner ou redonner un sens, juste ou non, à un moment de notre existence personnelle ou collective. C’est parce qu’il a un sens (aux trois contenus du mot, un ressenti, une signification, une direction c’est-à-dire une intention) qu’il peut nous ressourcer, c’est à dire nous procurer un regain d’énergie, de bien-être, de présence et disponibilité à soi ou aux autres. La routine nous isole car d’une part nous ne pouvons pas la partager vraiment, d’autre part car elle fait obstacle au réel qui nous entoure.
A partir de quand la routine devient-elle un danger ? Si le rituel est le plus souvent le résultat d’un choix personnel assumé, la routine nous est souvent imposée de l’extérieur pour exécuter des taches ou des fonctions que nous n’avons tout à fait choisies mais auxquelles nous acceptons- à tort parfois- de nous plier pourvu qu’elles nous prennent le moins d’énergie et d’attention possible. Les problèmes arrivent quand le nombre de routines est tel qu’elles prennent la majeure partie de notre temps et qu’une large partie du réel qui nous entoure n’est plus perçu et que nous passons à côté de son évolution. Alors non seulement la routine nous isole mais elle nous place en dehors de monde. Cette situation est généralement l’adaptation à une pression croissante et constante de notre environnement. Ce n’est plus nous qui agissons, nous sommes agis. Alors « la vie ne vit pas » comme le résume le philosophe Théodore Adorno quand notre existence est dominée par des automatismes mentaux, sociaux, et comportementaux qui nous privent de la conscience et de l’initiative de l’expérience.
Casser la routine pour retrouver l’initiative. Si à la fin de la journée vous avez l’impression de n’avoir rien fait, que ne vous souvenez plus de ce que vous avez fait, pire si c’est aussi le cas à la fin de la semaine, alors c’est que l’essentiel de votre vie est gouverné par des routines. Il est temps alors, de réagir et de faire un pas de côté, d’essayer autre chose pour retrouver de l’autonomie, de la vitalité, de la créativité, de la curiosité. Pour inventer une nouvelle routine, au besoin, et pour veiller à ce que nos rituels ne deviennent pas eux aussi des routines.
Patrick Margron