« Pas de liberté où il n’y pas de loi » dit Jean-Jacques Rousseau dans le contrat social et la constitution de 1793 précise : la liberté a pour principe la morale, pour règle la justice, pour borne le droit d’autrui et pour sauvegarde la loi. Quel est alors le contenu de cette liberté, puisque le contenant est celui du cadre social et politique ? Existe-elle en elle-même ou ne définit-elle pas plutôt par ses actions, ou par son absence ? Si on la définit comme le pouvoir inaliénable de l’individu qu’il a de disposer de lui-même, à ne pas faire ce qu’il ne veut pas faire, à agir selon sa conscience, est-ce suffisant, clair et universel ? Si l’anglais Freedom désigne bien un pouvoir d’autodétermination mais aussi une émancipation, une délivrance, l’allemand Frieheit se référait plutôt à un privilège, quant au chinois il a trois mots différents, Ziyo’u pour dire l’absence de contrainte, Shifàng pour la non- inféodation et Dùli pour l’indépendance, et le latin Libertas disait l’état de « l’homme libre ». Ces nuances, ces distances sont importantes à comprendre si l’on veut penser la liberté dans un univers mondialisé, promouvoir une « politique de l’humanité »comme l’appelle le philosophe Souleymane Bachir Diagne.  

« Non, un homme ça s’empêche, voilà ce qu’est un homme, ou sinon… » dit Camus dans le premier hommerelatant les horreurs de la guerre du Maroc. Paradoxalement c’est en restreignant lui-même sa liberté d’agir que l’homme est libre quand il se donne la liberté d’écouter sa conscience. C’est en cela qu’il n’y a de liberté totale d’agir que pour le mal. C’est ce que dit Annah Arendt dans Eichmann à Jérusalem quand elle pointe que « l’absence de pensée est le signe d’une conscience éteinte ». Elle démontre que l’idéologie, définie comme la logique d’une idée, consiste à échanger la liberté inhérente à la faculté humaine de penser pour la camisole de la logique. Il ne peut donc pas y avoir d’idéologie de la liberté ! Et la liberté c’est d’abord une résistance pour penser par soi-même.

Rien n’est moins naturel que la liberté.  On dit exercer sa liberté car c’est un exercice difficile qui nécessite une discipline, c’est-à-dire un apprentissage permanent.  La liberté fait peur, la sienne et celle de l’autre. Pas seulement car la liberté implique la responsabilité et qu’il peut être rassurant de la transférer à d’autres. Mais car la liberté ouvre sur l’incertitude et l’infini, donc sur le vide. Le grand analyste Irvin Yalom dit que tous les êtres humains partagent depuis toujours quatre grands enjeux existentiels qui deviennent des angoisses existentielles s’ils sont mal appréhendés : la mort et notre finitude, la solitude fondamentale,  l’énigme du sens de la vie, et enfin, la liberté, ce qu’il appelle aussi l’absence de socle.  « Il n’y a qu’une chose que les hommes préfèrent à la liberté c’est l’esclavage » Dostoïevski.  « L’esclavage avilit l’homme jusqu’à s’en faire aimer » ajoute Simone Weil. 

La liberté est-elle le premier signe de l’humanisme ? Non. L’humanisme c’est d’abord la reconnaissance inconditionnelle de la dignité inaliénable et inestimable de chaque homme. La reconnaissance que la singularité de chaque homme porte à elle seule l’humanité tout entière. Mais ce qui donne toute sa puissance à cette dignité, à cette singularité c’est précisément la liberté dont dispose potentiellement chaque homme  pour  prendre en main son devenir, choisir son avenir.  C’est cette liberté qui fait la richesse unique de chaque vie. Sans la liberté il n’y a pas d’avenir, pas d’espoir, le futur n’est alors que la répétition à l’identique du présent, comme une machine répète docilement sans cesse le même processus face aux mêmes informations.

La liberté c’est ce qui rend possible l’humanisme. Pour cela il faudra que le mot de liberté puisse réconcilier les interprétations, les expériences et les enjeux des différentes cultures. Plus que jamais nous sommes face à un choix : d’un côté, la voie facile – déjà empruntée par de trop nombreux pays –   de la domination de quelques-uns sur la multitude, une société foncièrement esclavagiste, efficace et ordonnée où la majorité des hommes vivront sans autre espoir que survivre au présent, de l’autre côté, la voie plus difficile et jamais achevée de l’humanisme qui redonnera du sens aux droits humains.

Patrick Margron

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