L’incertitude est d’abord la caractéristique du vivant. Pas d’incertitude dans une machine, si sophistiquée soit-elle. Des pannes, de l’usure, des défauts, un mésusage, un résultat non conforme aux attentes, mais pas d’incertitude. Pas d’incertitude après la mort non plus. C’est car nous sommes en vie que des choses sont incertaines.
Accepter l’incertitude c’est tout simplement d’abord accepter d’être en vie, accepter La Vie.
L’incertitude, c’est ce qui nous fait décider. Décider, c’est ce qui nous engage en tant que sujet, c’est ce qui met en œuvre notre responsabilité car nous exerçons alors notre liberté. S’il n’y a pas d’incertitude, nous n’avons pas à décider, seulement à choisir. A choisir entre plusieurs options dont les caractéristiques sont connues. Bien sûr nous pouvons faire le mauvais choix, mais alors ce n’est pas tout à fait notre responsabilité qui est en cause : nous étions mal informés ou mal formés, les caractéristiques du choix n’étaient pas fiables, nous avons été trompés, on ne nous a pas laissé le temps de bien choisir, etc.
La peur de l’incertitude, c’est la conséquence d’un monde construit sur le choix. Depuis plus de 60 ans la promesse de la société de consommation c’est un monde certain où il n’y a presque plus d’incertitudes : les produits et services sont fiables, ils affichent leurs caractéristiques et leurs bénéfices, choisissez celui qui vous convient le mieux, celui qui vous fait plaisir. Et si vous n’êtes pas satisfait, changez ou réclamez, et nous ferons un nouveau produit. Et par produit, il faut inclure l’offre sociale et politique. C’est ainsi que la politique se réduit souvent au marketing des mécontents, y compris la création même du mécontentement dans une logique de marketing de l’offre, et où le citoyen est alors considéré comme un consommateur de votes et de slogans. Dans ce monde l’incertitude est ressentie comme une anomalie, une injustice ou un grave danger, et la satisfaction du choix doit être immédiate et totale.
Dans l’incertitude c’est la force de l’engagement qui remplace la rationalité du choix. Nous engager c’est l’expression de notre liberté. Dans le choix il n’y a pas de réelle liberté, il a juste un calcul de rationalité, correct ou non, et l’obligation de choisir (du moins tout est fait pour nous le faire croire…) Cette société du choix est une société qui se méfie, voire qui refuse et a peur de l’autonomie, de la liberté d’action et de décision de ses membres et qui préfère encadrer le plus possible leurs actions – et même leurs désirs- dans des choix prédéterminés et contrôlés.
L’incertitude est l’une des conditions de notre libre arbitre, c’est elle qui ouvre un degré de liberté.
Agir dans l’incertitude réclame notre liberté, mais pas seulement. Il faut aussi une dose de confiance. Confiance en soi ou confiance en l’autre, confiance dans le système ou la communauté qui nous entoure, confiance dans le sens de qui nous fait agir ou confiance dans ce qui se passerait si l’on échoue. Car agir, décider, dans l’incertitude c’est accepter le risque de l’échec et de la réussite, quand choisir c’est seulement accepter le risque de la déception ou de la satisfaction.
« L’intelligence c’est ce que l’on fait quand on ne sait pas » Jean Piaget. C’est donc dans l’incertitude, pour la comprendre et la réduire, pour y faire face, pour agir et vivre malgré elle– ou grâce à elle- que nous développons et exerçons notre véritable intelligence. Et cette intelligence c’est ce qui rendra notre liberté plus forte, plus à même de nous développer pleinement comme sujet autonome, solidaire et responsable.
Patrick Margron