Bienvenue dans cette saison sombre, la saison qui nous amène de la Toussaint au solstice d’hiver. A l’heure où de nombreux conflits nous déchirent, j’avais envie de vous partager une courte anecdote de reliance qui m’avait fait du bien à l’époque.
C’était un 31 décembre 2019 à Belle-Ile-en-mer. Je me baladais avec mon amie Elsa sur les remparts de l’île, humant l’air iodé et gris de cette dernière journée de l’année. Juste avant d’arriver à Le Palais, notre regard est attiré par les lampions de la devanture d’une petite librairie face à la mer qu’il nous tarde alors de découvrir. Sitôt entrées, un étonnement teinté de stupéfaction nous parcourt. Des samovars fument sur les tables, des bougies rouges éclairent une atmosphère chaleureuse, et un écran retransmet l’un des plus célèbres plans-séquences de cinéma, celui de la scène de bal dans le film de Bondarchuk du roman éponyme de Léon Tolstoï, La Guerre et la Paix.
Je suis absolument saisie de retrouver à cet endroit un bout de mes racines. Je demande aussitôt des explications. Comment se fait-il ? On me dit que le Club littéraire du coin fête aujourd’hui la fin d’un trimestre de lecture et d’étude consacré au roman. Tiens donc… !
La Guerre et la Paix…, ce roman qui parle de l’absurdité de la guerre et de ses conséquences destructrices sur les individus et les sociétés, tout en explorant l’interconnexion entre l’histoire collective et les destins individuels et revendiquant la puissance de l’amour.
La Guerre et la Paix…, et j’ai été percutée à ce moment-là par mon histoire. Moi qui suis née à Moscou, d’une mère russo-ukrainienne et d’un père tchadien, je vis aujourd’hui la guerre dans mes propres racines. Toutes les histoires d’exil, de privations, de violences, sont toujours quelque part les miennes. Et retrouver l’espace d’un moment hautement improbable un territoire d’humanité, de reliance sur une île bretonne perdue dans l’océan Atlantique m’a remplie de gratitude. Sentir pleinement à quel point on est tous reliés les uns aux autres à travers nos lignées, nos histoires et nos expériences communes.
Je verrai en tout cas toujours un visage, celui de notre humanité commune.
Makeba Chamry